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Vol de montagne

dimanche 18 décembre 2005, par Frédéric PONCET

J’ai découvert le vol de montagne cet été, à Saint-Auban. Depuis le temps que j’en rêvais, j’ai cassé ma tirelire et je me suis offert un stage de perfectionnement au Centre National de Vol à Voile. Aux lecteurs de passage, vélivoles qui n’auraient pas déjà goûté à cet aspect de notre sport, ou simples curieux, je livre mes impressions. En attendant l’été prochain...

La montagne n’est pas pour moi un élément familier du paysage. Elle m’apparut par moments comme un colosse de pierre et de rocaille, que l’on vient toiser à hauteur d’épaule. Dans un esquif d’à peine six cent kilos, poids des pilotes compris, l’on s’approche à portée d’aile d’une masse sur laquelle un paquebot se briserait sans même l’ébranler. Le danger, pourtant, ne vient pas de la montagne : quoi qu’on fasse, elle ne bougera pas.

Et c’est peut-être ça qui rend cette expérience excitante. Le danger vient des pilotes. Une erreur de pilotage, et le planeur pourrait bien nous rappeler qu’il est un "plus lourd que l’air". Le décrochage est si facile à rattraper quand on vole en plaine, à plus de mille mètres du sol. Le départ en vrille est grisant comme une acrobatie. On oublie qu’il peut être dangereux, on tolère des fautes de pilotage, on s’amuse de les rattraper promptement. Ici, il n’en est plus question. Le flanc de la montagne est à peine cent mètres sous nos fesses. Autant l’avouer, c’est un peu stressant !

A Saint-Auban, la première expérience de vol de pente se fait souvent sur les Pénitents des Mées. Cette étrange falaise, faite d’un agglomérat de terre et de cailloux découpé par l’érosion, ressemble à un alignement de menhirs. Comme si le vol de montagne n’était pas en lui-même assez étonnant, on le commence dans ce décor extra-terrestre.

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Vol de pente
Explication

La pente des Mées est orientée au nord-ouest. Le Mistral, vent du nord, vient la frapper et l’enjambe. Il en est toujours ainsi quand un obstacle est plus large que haut : le vent ne le contourne pas, il passe en grande partie par dessus. C’est dans la partie ascendante de ce mouvement que l’on fait du "vol de pente".

Au début, c’est facile. Il faut seulement veiller de rester bien au vent de la ligne de crête. "Si tu passes de l’autre côté, tu risques de te retrouver dans la partie descendante. Et là, tu peux être très embêté." répète Jean-Marc, notre instructeur, aux stagiaires. Embêté, c’est rien de le dire : une fois descendu plus bas que la crête, impossible de repasser du bon côté ! Suivons donc scrupuleusement cette ligne de crête, qu’un chemin de randonnée dessine au milieu des arbres...

L’autre difficulté, c’est le trafic ! Nom de nom, les environs de Saint-Auban sont autrement plus fréquentés par les planeurs, que ceux d’Amiens. Et la pente des Mées, c’est le passage obligé pour prendre de l’altitude après le largage. Dix, quinze planeurs arpentent la même crête dans un sens, puis dans l’autre. On se croise à chaque demi-tour, parfois à des altitudes très voisines. Il faut ouvrir l’œil...

A part ça, la montée semble extraordinairement facile. L’ascendance de pente est large et régulière. Jean-Marc me dit : "tu vois, le vol de pente, ce n’est pas difficile.
- Oui, on s’en fait toute une montagne
, lui répondé-je. Il rit.

Nous ferons ensuite deux tentatives pour traverser la vallée de la Durance. La première échoue, nous sommes partis de trop bas. Retour vers les Mées, reprise d’altitude, re-belote.

Rive droite de la Durance, sous le vent de la montagne de Lure, nous cherchons des ascendances thermiques. Jean-Marc a repris la main. Virage à gauche, virage à droite, un peu plus serré, un peu moins... Je ne comprends rien à ce qu’il fait et je suis étonné que mon estomac encaisse aussi bien ce mauvais traitement. Mes soixante petites heures de vol m’ont finalement quand même un peu endurci. Jean-Marc nous expliquera le lendemain que nous étions dans la couche "sous-ondulatoire", qu’il n’y a pas vraiment de méthode pour accrocher et que du point de vue confort c’est un peu "la machine à laver". L’image est assez juste...

Pour l’instant je ne comprends rien, mais d’un seul coup le vol devient plus calme. Jean-Marc me repasse la main et me guide à nouveau oralement. Il me dit de ne pas dépasser quatre-vingt-dix kilomètres heure. Je vole en ligne droite, et le variomètre affiche une valeur positive : nous montons à deux, puis trois mètres par seconde. Je ne comprends pas tout de suite que nous sommes dans l’onde de la montagne de Lure. Jean-Marc me signale les nuages de rotor. Ce sont des petits cumulus qui se forment et se dissolvent en un mouvement perpétuel en bordure d’onde. Ils semblent fixes, alors qu’ils ne sont jamais composés des mêmes gouttes d’eau. Comme une foule dans une gare, toujours dans la même salle des pas perdus, mais jamais composée des mêmes voyageurs.

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Nuages de rotor
Effet de foehn avec formation de nuages de rotor sur une ligne parallèle au relief

Ces deux franges de nuages de rotor bordent le creux de l’onde. Nous les suivons comme les lignes blanches d’une autoroute. Je serre ma gauche : c’est là, dans la partie sous le vent de l’onde, que ça monte. Et ça monte bien : en quelques minutes, nous serons à trois mille cinq cent mètres. Nous ne monterons pas plus, c’est le plancher d’une zone d’espace aérien contrôlé. La TMA d’Orange, sorte de champignon géant, nous passons sous son chapeau.

Le moment où l’on dépasse les nuages est un instant magique. L’impression d’entrer dans un autre monde. En planeur. Sans moteur, sans effort, dans un écoulement d’air extraordinairement fluide, calme, doux. Avec une facilité déconcertante, nous entrons dans une sorte de Royaume des Cieux, sans frapper. Pas de gardien, pas de Saint Pierre ! Nous visitons sans y être invités...

Nous allons ainsi jusqu’au mont Ventoux, à soixante kilomètres à l’ouest de Saint-Auban. Jean-Marc s’attendait à ce que l’onde y soit encore plus forte, mais ce n’est pas le cas. Je fais demi-tour et je reprends mon autoroute bordée de cumulus, cette fois en serrant à droite. Je vole maintenant à plus de cent vingt kilomètres heure et sans perdre d’altitude. Il nous faudra sortir les aérofreins pour redescendre !

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Vol d’onde
L’onde est un phénomène qui se propage très haut dans l’atmosphère, bien plus haut que le relief.

Je sors du planeur après deux heures de vol environ, totalement émerveillé par cette expérience. Je n’ai encore rien vu.

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Le parc du Queyras
A l’horizon, le massif des Ecrins

Le lendemain, nous aurons à nouveau de l’onde et cette fois, juste à la verticale de Saint-Auban. Impossible de dire quel relief l’a produite, mais à cet endroit l’espace aérien est libre. Nous monterons jusqu’à quatre mille deux cent quatre-vingt neuf mètres... et nous renoncerons à aller plus haut faute d’équipement respiratoire (nous aurions du, réglementairement, y renoncer dès trois mille huit cent).

Puis nous ferons route vers la frontière italienne, doublerons le mont Viso, puis survolerons le Queyras, nous virerons l’Argentière-la-Bessée et reviendrons en longeant le parc des Ecrins. Après trois heures de vol, mon estomac dira : "stop !" et je devrai sortir le sac en plastique. Seul moment un peu désagréable du vol, mais aussitôt occulté par les images inoubliables d’un tel circuit.

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Le massif du Gaulent
En bordure du parc des Ecrins, à 150 km au nord de Saint-Auban.

Le CNVV accueille tous les pilotes, quel que soit leur niveau. Un petit bagage est quand même conseillé : avec soixante heures de vol en solo, j’ai bien profité de mon stage (un seul incident de digestion...). Les ascendances thermiques de montagne sont souvent très turbulentes. Un stagiaire qui n’avait que vingt heures de vol en solo, bien qu’il fut malade deux ou trois fois, est tout de même reparti enchanté par son séjour.

Ne pas s’attendre à être autonome en montagne avec moins de 300h de vol. Un lâcher en local est envisageable avec moins d’une centaine d’heures de vol à condition d’avoir pratiqué régulièrement.

Mais l’expérience reste inoubliable même en double et les instructeurs sont très sympathiques. Si vous avez un peu d’argent à y consacrer, n’hésitez pas !