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A propos du vote électronique
vendredi 26 juin 2015, par
L’opposition au vote électronique manifestée à plusieurs reprises par la fédération CGT des cheminots, notamment dans la dernière négociation sur les instance de représentation du personnel (DP, CE) du futur groupe public ferroviaire, a été l’occasion de voir réapparaître les poncifs sur cette organisation syndicale : rétrograde, archaïque, fermée à la modernité, refusant tout progrès, on en oublie certainement. Des voyageurs originaires d’une contrée lointaine et peu informés de la vie sociale française pourraient s’imaginer, à certaines lectures, les militants de la CGT comme des brutes qui n’ont jamais vu d’ordinateur, connaissent à peine l’électricité et se méfient de tout changement comme les Amish se méfient du monde qui les entoure.
Cette vision du problème n’est pas seulement stupide, elle passe aussi à côté de l’essentiel. Car ce n’est pas le point de vue de la CGT qui importe en l’occurrence, mais celui du corps électoral et de la confiance qu’il accorde au résultat des élections. Disons le tout net : contrairement au vote physique dont personne aujourd’hui en France ne conteste la fiabilité, il n’y aura jamais unanimité pour reconnaître le résultat d’un vote électronique tel qu’il se pratique et tel qu’on nous le propose.
Les tentatives de mise en place de procédures de vote électronique que nous avons vu jusqu’à présent ne sont pas satisfaisantes, et entretiendront cette défiance envers le vote électronique, parce qu’elles ont toutes reposé sur une violation des principes pourtant éprouvés mis en œuvre dans le vote physique. Sans que cela n’ait été formulé explicitement, elles sont parties sur une voie opposée.
Bien entendu, beaucoup ont sincèrement réfléchi aux moyens de créer des systèmes de vote électronique « sûrs », mais ils se sont à chaque fois fourvoyé de la même manière, parce qu’ils ont pensé que la confiance dans un système de vote électronique devait reposer sur les principes de ce qu’on appelle ordinairement la sécurité informatique.
Autrement dit, non pas sur la transparence du système, mais sur son opacité.
On a demandé à la machine d’interdire la triche, comme s’il était possible de concevoir une machine qu’aucun expert ne parviendrait à violer. Et l’on a demandé aux électeurs de faire confiance aux experts susceptibles de tricher ou de mettre leurs compétences au service de tricheurs. Comme si l’affaire pouvait se résoudre par la déontologie. Comme si l’idée de frauder lors d’élections ne pouvait même pas être envisagée.
Il y a eu en fait une incompréhension totale des principes du vote physique. Au contraire de ce qui est proposé pour le vote électronique, la confiance dans le vote physique ne repose pas sur la confiance dans des personnes ou dans des organismes, mais sur la méfiance de tous envers tous.
Un vote présente toujours un enjeu qui peut inciter certains des acteurs à frauder. Nulle morale ne peut garantir durablement que tous s’y soumettront. La suspicion est légitime. Elle est d’ailleurs, lorsqu’existe une tradition démocratique, parfaitement acceptée.
La procédure mise en place dans le vote physique permet à tout le monde de surveiller tout le monde. Il n’y a qu’une exception notable à cette surveillance permanente lorsque l’électeur est dans l’isoloir, moment où il serait possible de préparer plusieurs enveloppes : d’où l’utilité de l’urne transparente, qui permet de vérifier qu’une seule enveloppe y est introduite par électeur, en plus du décompte final des enveloppes. Un maximum de précautions sont prises cependant pour que le passage dans l’isoloir ne laisse que peu d’opportunités de tricher : il est impossible de s’introduire ou de sortir de l’isoloir sans être vu. L’isoloir ne dissimule d’ailleurs pas les jambes, afin de montrer en permanence qu’il n’y a qu’une seule personne présente à la fois. Et l’isoloir peut être inspecté, en permanence, entre deux électeurs.
Le scrutin se déroule sous l’œil de délégués des candidats ou des listes de candidats. L’idée qu’il puisse exister un organisme « indépendant » et désintéressé, chargé de surveiller les opérations de vote, n’a pas été retenue dans l’organisation du vote physique. Il a été jugé préférable, au contraire, de placer le vote sous la surveillance de toutes les parties intéressées, afin que chacune soit convaincue de la sincérité du résultat. Loin de postuler l’honnêteté de tous, ou au moins des organisateurs, la procédure de vote physique postule que nul n’est « indépendant », « désintéressé », et utilise précisément l’intérêt au résultat pour mettre en œuvre efficacement la surveillance et le contrôle. La confiance dans le résultat repose implicitement sur la démonstration par l’absurde suivante : comment le candidat A aurait-il pu frauder, même avec des complices au sein du bureau de vote, puisque tout s’est déroulé sous la surveillance du candidat B ou de ses représentants et qu’ils avaient tout moyen d’observer ce qui se passait, de la mise en place du bureau de vote jusqu’à la fin du dépouillement ?
C’est sur cette méfiance généralisée et sur la simplicité des moyens de contrôle, que repose la croyance dans la sincérité du vote ; et non sur une « confiance » dans des experts qui auraient certifié comme « sûr » un système abstrait, ou un système secret dont bien peu comprendraient le fonctionnement.
Le même principe doit être reconduit pour le vote électronique si l’on veut qu’il soit adopté sans réticences : il ne doit pas reposer sur la confiance dans une « machine de vote », mais sur une procédure de contrôle permanent de tous par tous. Ceci implique une conception radicalement différente de tout ce qui a été envisagé jusqu’à présent.
Le problème n’est pas insurmontable a priori, mais ce n’est pas l’objet de cet article que d’exposer les solutions possibles –ou du moins les pistes de recherche. L’informatique présente des défauts intrinsèques qui facilitent la fraude, mais aussi des qualités qui facilitent le contrôle. Tout le problème consiste à mettre au point une procédure qui permette à chacun, avec un minimum de compétences en bureautique, de contrôler que les possibilités de fraude n’ont pas été exploitées.
La démonstration de faisabilité reste à faire. A défaut, il faudra admettre que la procédure physique demeure la seule qui protège le vote de toute contestation.