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Lettres
A mort le éhou !
mercredi 28 décembre 2005, par
Depuis quelques années, l’on voit se multiplier dans toutes sortes de textes, une véritable horreur linguistique et logique : le "et/ou". Même des gens très instruits commencent à l’utiliser. C’est inquiétant. J’entame une Grande Croisade contre le "éhou" et j’invite tous ceux qui aiment parler proprement, à me suivre.
Pas plus tard qu’il n’y a pas longtemps, en qualité de rédacteur en chef d’une petite publication syndicale, j’ai encore dû corriger un article qui contenait cette incongruité.
Le "et/ou" m’agace parce qu’il trahit une interprétation confuse du ou qui peut conduire à toutes sortes de malentendus, ou à rendre la langue affreuse et truffée d’hiatus.
En résumé : le ou, sauf précision contraire ou contexte particulier, est inclusif.
Par exemple :
"Pour faire fortune sans se fatiguer, il faut gagner au loto ou hériter." Faut-il vraiment préciser que les deux ensemble, ça marche aussi ?
"Boire ou conduire, il faut choisir." Cette fois, au contraire, il faut préciser par le il faut choisir, que l’un et l’autre sont incompatibles. Parce que justement ça ne va pas de soi !
"C’était en mai ou en juin." Dans ce cas le ou est exclusif sans qu’il soit besoin de le préciser.
"Mettez m’en deux ou trois." Puis-je en avoir deux ET trois en même temps ? Si je dis "deux et/ou trois chipolatas" au boucher, que doit-il faire ?
Autrement dit, il y a déjà du et dans le ou, quand il n’y en a pas c’est qu’il ne peut pas y en avoir. Accoler les deux ensemble n’apporte aucun sens supplémentaire et en plus, c’est moche.
Pour les habitués de la logique, c’est une évidence :
Table de vérité du ET
Premier terme | Deuxième terme | Proposition |
---|---|---|
Faux | Faux | Faux |
Faux | Vrai | Faux |
Vrai | Faux | Faux |
Vrai | Vrai | Vrai |
Table de vérité du OU
Premier terme | Deuxième terme | Proposition |
---|---|---|
Faux | Faux | Faux |
Faux | Vrai | Vrai |
Vrai | Faux | Vrai |
Vrai | Vrai | Vrai |
Table de vérité du OU exclusif
Premier terme | Deuxième terme | Proposition |
---|---|---|
Faux | Faux | Faux |
Faux | Vrai | Vrai |
Vrai | Faux | Vrai |
Vrai | Vrai | Faux |
Dans la langue courante, comme nous l’avons vu, il y a de nombreux cas où le ou est utilisé dans son sens exclusif. Mais lorsque le contexte prête à ambiguïté, il est toujours possible de la lever par une formule telle que : ou bien, ou alors...
Quoi qu’il en soit, le pire dans le "et/ou" est peut-être la façon d’accoler les deux conjonctions ! Ceux qui utilisent le "et/ou" ont ils jamais songé à relire à voix haute ce qu’ils écrivent ? Et comment le prononcent-ils ?
Evidemment, s’il leur prenait la bonne idée d’écrire en français, ils écriraient : et, ou ou. Vous voyez le tableau ?
Comme le souligne www.druide.com, ils pourraient alors être pris d’un vertige. Etre tentés de remplacer à nouveau les ou par des et ou ou...
Mais je me bats et me battrai comme un chien pour que le ou garde ses deux sens et reste inclusif par défaut. Parce que je veux avoir le droit de dire : "Embrasse moi, ou dis moi quelque chose."
Evidemment, tu peux faire les deux ! Et je n’ai pas besoin pour ça de préciser : "Embrasse moi, et/ou dis moi quelque chose." !!! Hyper poétique, n’est-il pas ?
Messages
1. A mort le éhou !, 6 mars 2012, 10:38, par Frédéric Poncet
Et voilà le genre d’imbécilités qui finissent par arriver, lu sur un logigramme de traitement d’accidents de personnes : "La victime se plaint d’un malaise et/ou est inconsciente".
Vous avez bien lu ? La victime pourrait donc être inconsciente ET se plaindre d’un malaise...
La logique n’est pas une chose facile : sans le secours d’un langage, notre cerveau ne sait traiter que les modus ponens et les conjonctions (et). La représentation correcte d’une disjonction inclusive (ou) sature très vite notre mémoire de travail dans les cas un peu complexes.
Et notre cerveau cherche toujours le moyen de résoudre tout problème de la façon la plus rapide possible, en économisant l’usage de la mémoire de travail.
Le "et/ou", dès lors qu’on l’accepte dans son vocabulaire, devient donc très vite un moyen pour le cerveau de s’affranchir de ces délicats problèmes de distinction entre "ou" et "ou bien".
Et de produire ces résultats absurdes...