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Mort du lieutenant-colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame

De l’erreur à l’héroïsme

jeudi 29 mars 2018, par Jean Tillaume

Selon sa biographie Wikipedia, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame était décoré de la médaille d’honneur des affaires étrangères depuis 2006. Était-ce en raison de sa participation en 2005, en qualité de chuteur opérationnel, à l’exfiltration d’une française d’Irak, comme nous l’apprend également sa biographie Wikipedia ?

La presse à l’époque ne nous a pas sommé de nous ébahir devant l’héroïsme de ce soldat, parachuté de nuit à cent vingt cinq mètres d’altitude -en chute libre, il n’aurait que cinq secondes avant d’arriver au sol !- sur un site mal connu et sans personne au sol pour l’accueillir, pour aller chercher au péril de sa vie une concitoyenne retenue en milieu hostile.
Milieu hostile ? En 2005, l’Irak est sous domination Etats-Unienne et adopte par référendum une nouvelle constitution. La rébellion de Falloudja a été durement réprimée et matée. Les otages français, Christian Chesnot et Georges Malbruno, ont été libérés en décembre 2004. La presse n’évoque aucun autre otage en Irak. Dans quel milieu hostile s’était fourrée notre concitoyenne ? Y’avait il quelques raison de ne pas parler de cette personne et de sa libération ? Était ce une journaliste, une infirmière, une danseuse étoile, une simple touriste ? Nous aurons du mal à le savoir. Retenons seulement de cet épisode qu’Arnaud Beltrame n’était pas un gendarme ordinaire, mais sans doute un agent opérationnel du renseignement français.

Revenons en 2018, à Trèbes. Comme je l’ai déjà évoqué sur le ton de la raillerie, ce n’est pas « daèche » qui a organisé cette opération militairement débile, en supposant que cette organisation soit encore un minimum capable de coordonner quoi que ce soit (ses chefs sont morts ou exfiltrés dans différents pays, ses combattants sont dispersés, sous contrôle des armées Syrienne ou Russe, dans d’autres villes du pays). Redouane Lakdim quant à lui n’est pas connu pour avoir combattu en Syrie ni en Irak -il aurait tenté de le faire, mais la velléité ne fait pas l’expérience- et n’a derrière lui qu’un passé de délinquant.

En d’autre termes il n’avait aucune expérience du maniement des armes en situation réelle et a néanmoins réussi à blesser avec une arme de poing, après trois heures de face à face, un agent aguerri comme le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame. On ne peut s’empêcher de comparer le cas à la prise d’otages de l’Hyper Casher et rappeler qu’Amedy Coulibaly avait été tué lors de l’assaut du RAID et de la BRI sans qu’aucune autre personne ne le soit.

C’est d’ailleurs ce qui était certainement envisagé à Trèbes. Faut il que les esprits aient été paralysés pour qu’il soit nécessaire de le rappeler ! Depuis la mort de Khaled Kelkal en 1995, les forces de sécurité françaises nous ont habitué à en finir avec les terroristes sans passer par la case « procès » et parfois même sans beaucoup de preuves de culpabilité. Dans le cas présent il y avait pour le moins flagrant crime de prise d’otage.
Sans doute jamais les gendarmes qui encerclaient le magasin n’ont envisagé une autre fin : le scénario s’est déjà déroulé assez souvent pour qu’il n’y ait pas de doute à ce sujet. La police Belge semble être une des dernières à accorder encore assez d’importance à la justice pour avoir essayé (et réussi) de capturer vivant Salah Abdeslam.

Le lieutenant-colonel Beltrame savait quel dénouement était prévu, et même s’il prenait un risque certain en proposant à Lakdim de s’échanger contre une des otages, sa démarche n’était pas d’échanger une vie contre la sienne, comme cela a été dit et répété, mais de tromper Lakdim pour s’infiltrer dans la place, en jouant sur l’espérance de celui-ci que disposer d’un otage de « plus grande valeur » modifierait la situation à son avantage. Bien entendu, cet avantage n’était accordé à Lakdim que dans le but d’infiltrer un agent dans le lieu de la prise d’otage et sans remettre en cause l’objectif de le tuer. La méthode est, soit dit en passant, extrêmement classique et son cynisme vis-à-vis du preneur d’otage est communément accepté comme un mal nécessaire pour combattre le cynisme non moins grand du criminel. Mais elle est rarement présentée comme de l’héroïsme ; il est vrai qu’en général l’agent infiltré s’en sort indemne.

Que s’est-il passé pendant ces trois heures ? Lakdim a-t-il compris trop vite qu’il s’était trompé sur l’intérêt de l’échange ? Beltrame a-t-il commis une erreur ? Pour le moins, une erreur d’appréciation sur l’état d’esprit du ravisseur. Quoiqu’il en soit, c’est par un raccourci intellectuel et l’occultation temporaire mais totale de la réalité d’une prise d’otage que son erreur a fait de lui un héros chrétien, comme certains l’ont présenté. Ce que l’on sait de l’histoire montre qu’il a agit d’abord en professionnel.

Il reste une hypothèse à évoquer. Car, rappelons-le, le lieutenant-colonel Beltrame était un agent du renseignement qui avait l’expérience de l’Irak. Avait-on besoin de le faire mourir pour lui donner l’occasion de servir sa patrie sous un autre nom et dans une autre vie ?

Le luxe de détails donné sur sa mort ne donne pas tant de crédibilité que cela à celle-ci, bien au contraire. Raconter à la presse jusqu’à l’autopsie, comme pour affirmer qu’il est bien mort, comme s’il pouvait y avoir un doute à ce sujet ; comme s’il avait fallu écrire ce que le médecin légiste était censé voir ? jusqu’à la précision du coup de couteau mortel à la gorge, comme pour nous rappeler que nous avons affaire à un ennemi qui est l’Arabe (ou le musulman, on ne sait jamais très bien) et qui se caractérise par cette infamante façon de tuer, quand le chrétien civilisé tue, lui, avec des armes intelligentes. Un tel roman pour une seule des victimes ? Ahmed Merabet et Franck Brinsolaro n’avaient pas eu droit à tant de dévotion de la grande presse ni de détails pour accréditer leur mort, pourtant non moins héroïque car l’adversaire était autrement plus aguerri et dangereux et eux mêmes moins bien préparés à cela ; pourquoi en faire tant à propos de Beltrame ? Est-ce parce que, comme nous le révèle Le Parisien, "’La scène finale s’étant déroulée à l’intérieur de la salle des coffres, et non dans les rayons du supermarché, elle n’a pas été captée par les caméras de vidéosurveillance"... ni vue par aucun autre témoin ?

Il ne s’agit bien sur que d’une hypothèse mais qui a pour elle de rencontrer l’impression que, s’il faut conter la geste du lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, c’est peut-être que la réalité est ailleurs.

La suite des évènements médiatiques, en effet, a été stupéfiante. Un élu de la France Insoumise, Stéphane Poussier, a cru malin de se réjouir sur twitter de la mort du gendarme. Malgré le peu de légitimité de cet individu au sein du mouvement, ce fut le signal du déferlement d’insinuations perverses contre ce mouvement politique, Le Figaro allant jusqu’à utiliser une photo de Jean-Luc Mélenchon pour illustrer l’information !

La réaction de ce dernier a été, il faut bien le dire, une leçon magistrale de tactique. D’abord, en annonçant vouloir porter plainte contre Stéphane Poussier pour "apologie du terrorisme" -alors que sa plainte n’était sans doute pas recevable formulée telle quelle, seules les autorités décident de ce qui trouble l’ordre public- et en sapant ainsi toute possibilité de se montrer plus vertueux que lui ; puis par le discours prononcé à l’Assemblée Nationale, applaudi à la quasi unanimité des députés présents, réalisant l’exploit de glorifier l’acte humain quand ses adversaires espéraient glorifier le combattant chrétien en guerre contre l’islam -dans ce registre, l’avocat-blogueur Régis de Castelnau fut particulièrement caricatural.


Que le lieutenant-colonel Beltrame soit mort par la faute d’une funeste appréciation de la situation, ou que l’agent de la DGSE Beltrame soit reparti en route pour de nouvelles aventures, que son implication dans la campagne anti-France Insoumise soit une pure récupération ou non, qu’il s’agisse d’une tentative de plus de déclencher en France la guerre entre chrétiens et musulmans que les disciples de Samuel Huntigton appellent de leur voeux, tandis qu’une écrasante majorité de Français refusent de s’y engager, ou bien que l’exploitation dans ce sens ne soit qu’opportunisme, nous ne le saurons sans doute pas avant longtemps. Dans le doute, respectons les morts. Et continuons de chercher la vérité.