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J’ai réussi mon "50 bornes" !!!
dimanche 27 août 2006, par
50 km en planeur, ou plus exactement 58 : c’est la distance entre les aérodromes d’Amiens-Glisy et de saint-Quentin-Roupy.
Si le "laché" [1] reste le plus beau moment dans la vie d’un pilote, le vol à voile offre ensuite bien d’autres moments excitants. C’est une discipline sportive, et la progression est balisée de petites épreuves (ou de grandes !) qui donnent toujours un grand plaisir quand on les surmonte.
Les 50 km à parcourir en ligne droite, donc nécessairement en sortant du local du terrain de départ, sont une des épreuves qui jalonnent cette progression.
La prise d’altitude de 1000 mètres, les 50 km en ligne droite et le vol de 5 heures donnent au pilote de planeur son "insigne D". C’est la première distinction sportive attribuée en vol à voile.
Vient ensuite l’insigne E, mais là c’est autre chose. Prise d’altitude de 5000 mètres (en pratique, on ne peut le faire qu’en vol d’onde) et circuit de 500 km. Je n’en suis pas encore là...
Pour l’instant, il me reste à faire le vol de 5 heures. Facile, à condition que les conditions soient favorables. Facile ? Techniquement oui, mais moralement c’est autre chose...
Pour ce 50 km, c’était ma troisième tentative. La première fois, j’avais renoncé à quitter le local du terrain après m’être fait avoir par un cumulus qui, malgré sa belle apparence joufflue, ne révélait aucune ascendance. Les conditions étaient pourtant excellentes (c’était en juillet 2004), il y avait 1800 m de plafond, de quoi faire n’importe quel circuit tranquillement. Mais j’ai eu peur que ce "cumulus baisus" ne soit pas le seul dans son genre, et que je sois obligé de finir dans un champ. La perspective de devoir démonter le planeur pour le rapatrier dans sa remorque avait achevé mon moral...
La deuxième fois, c’était en juillet de cette année. Cette fois, mes instructeurs m’avaient recommandé d’aller plutôt vers Saint-Quentin et de m’y poser. C’est un des rares terrains où je m’étais déjà posé (en motoplaneur et avec un instructeur), avec Abbeville qui se trouve aussi à 50 km d’Amiens. Mais Abbeville est plus près de la mer, les conditions sont souvent plus difficiles.
Hélas, les conditions étaient cette fois nettement moins bonnes qu’en 2004. Le plafond était assez élevé (1600 m, si ma mémoire est bonne) mais j’ai passé plus de deux heures à l’atteindre, et tout le restant du vol, je n’ai jamais réussi à repasser au-dessus de 1300 m. Je me suis dit que dans ces conditions, il me faudrait peut-être encore deux heures pour atteindre Saint-Quentin, que j’arriverais épuisé et que je risquais de rater mon atterrissage.
Mais ce second échec m’a frustré, beaucoup plus que le premier. Début août, je redécolle pour Saint-Quentin. Les conditions sont encore moins bonnes et surtout, il y a beaucoup de vent : 30 km/h environ. Mon instructeur me recommande de rester en local.
Mais le vent souffle dans le bon sens : il va vers Saint-Quentin. Je me dis que si je me pose là-bas, je n’aurais pas le souci du retour. Il se fera peut-être en remorque, mais au moins j’aurais fait mes 50 bornes ! J’évoque cette idée, mon instructeur accepte. Il me recommande quand même de rester au moins une heure en local, pour bien tâter la masse d’air, avant de partir. Les conditions semblent bonnes, mais il y a un étalement à l’est, justement dans la direction ou je dois partir. Il y a fort à parier qu’il n’y a aucune ascendance dans cette zone, mais nous nous attendons aussi à ce qu’elle se déplace petit à petit et que la voie vers Saint-Quentin devienne favorable.
Je me prépare, je décolle. Je suis vite déçu par les conditions : c’est bon, mais pas excellent. Je repense à ce jour de juillet où j’ai renoncé alors que les conditions étaient bien meilleures. Comment oserais-je partir aujourd’hui ?
Et puis au bout d’une heure trente de vol, toujours au dessus d’Amiens, je me rends compte que j’ai oublié la carte du terrain de Saint-Quentin ! Je ne me souviens ni de la fréquence radio, ni de l’orientation des pistes, et de toute façon je préfère être en règle.
- Le terrain d’Amiens-Glisy
- J’ai décollé de la piste en herbe
Le président du club me contacte par radio. Il veut savoir où j’en suis. Il s’énerve d’apprendre que je suis toujours au dessus d’Amiens. Je lui dis que j’ai oublié ma carte du terrain de Saint-Quentin.
"Boaff... ça c’est pas grave", maugrée-t-il.
Un peu plus tard, il me relance à nouveau :
"Alors ? T’es pas encore parti ? Les conditions sont bonnes maintenant, si tu ne pars pas, tu ne partiras jamais !"
Je me dis qu’il n’a pas tort. Je ne trouve pas les conditions fameuses, mais le ciel est régulièrement pavé de cumulus épais à perte de vue vers l’est. Cela fait une heure cinquante que je vole, le plafond n’est qu’à 1300 m mais je n’ai eu aucune difficulté pour trouver des ascendances. Le vent me pousse dans le bon sens, un rapide calcul me dit que je devrais être à Saint-Quentin en une demi-heure, au plus. Reste le risque de se vacher, quand même. Je regarde les champs : il faut impérativement qu’un champ de secours soit aligné avec le vent. Et je me rends compte que non seulement les champs alignés avec le vent ne manquent pas, mais encore que les champs de cette région -l’Aisne- sont immenses ! Certains sont plus longs que notre terrain. Ils doivent faire au moins un kilomètre, peut-être deux.
Tout compte fait, je ne trouve aucune excuse pour ne pas partir. Je me décide. Cap vers Villers-Bretonneux, première commune sur ma route. J’arrive sur la ville, je retrouve une ascendance. Pas fameuse, je remonte à peine à 1100 m. Au delà de ce point, j’aurais bien du mal à revenir à Glisy, face au vent. Impossible en une seule transition, il me faudrait au moins retrouver une ascendance sur le chemin du retour. C’est là le déclic : puisqu’il me faudra chercher une ascendance, autant la chercher de l’autre côté, vers Saint-Quentin ! Je poursuis ma route.
J’ai passé un point de non-retour. Je n’en suis pas encore certain, mais il est clair que plus je m’éloigne d’Amiens, moins j’ai de chances de pouvoir revenir. Passé Villers-Bretonneux, j’ai déjà le sentiment d’être hors du local terrain (ce qui, vu la force du vent, était certainement le cas). Je me sens pour la première fois comme un pilote de planeur "complet". Certes je suis breveté et j’ai environ 70 h de vol comme commandant de bord, mais là je ressens quelque chose de nouveau. Je vole "sur la campagne", je pars vers un autre terrain, bref : je fais pour la première fois un "vrai" vol.
Les points de repère défilent bien plus vite que je ne l’espérais : la ligne d’éoliennes, puis l’autoroute A1, puis le canal de la Somme. D’après la carte, je devrais être proche de l’aérodrome de Péronne. Je le trouve sans peine, sa piste en dur fait 4000 m de long (c’est un ancien terrain militaire désaffecté). J’annonce que je quitte la fréquence d’Amiens, je passe sur celle de Péronne. Je cherche en vain un contact. Il peut y avoir de l’activité parachutiste, à Péronne. Personne ne répond ? Sans doute n’y a-t-il pas la moindre activité aujourd’hui... dans le doute, je garde quand même mes distances. assez prêt pour atterrir sur le terrain si besoin, assez loin pour ne pas risquer de me prendre un parachutiste sur le nez.
Je progresse toujours, je distingue maintenant clairement Saint-Quentin. Je ne me réjouis pas pour autant, car globalement mon altitude n’a fait que baisser. Les quelques ascendances que j’ai rencontré m’ont à peine permis de me maintenir, je suis à environ 1000 m. Et il me reste à trouver le terrain... Quoi qu’il en soit, je dois en être proche. La fréquence de saint-Quentin me revient : 123,5 MHz, c’est la fréquence générique des terrains où il y a peu de trafic. Je quitte la fréquence de Péronne et je passe sur Saint-Quentin.
Le problème du terrain de Saint-Quentin, c’est qu’il n’a pas de piste en dur, il n’a que deux pistes en herbe qui se croisent. Or une piste en herbe est très difficile à distinguer des champs alentours, vu de mille mètres ! Et les hangars eux-même ne sont pas très différents de ceux des fermes. Les marques blanches qui bordurent le terrain, depuis cette altitude, sont encore invisibles.
Je me dirige vers l’endroit où il se trouve, d’après ma carte Michelin au 1/275000ème (très pratique en vol à voile !). Les routes me servent de repères. Mais rien ne ressemble plus à une route qu’une autre route, vu du ciel ! Ne me suis-je pas trompé ? Et Saint-Quentin, malgré mes appels répétés sur la fréquence, ne répond pas.
Je tourne en rond dans le coin, je cherche du regard tout autour, et je vois mon altitude baisser petit à petit : 800 m... je vois toujours le terrain de Péronne, mais il faudrait que je remonte le vent pour m’y poser. Mieux vaut choisir un beau champ près de moi. Atterrir dans un champ près du terrain de Saint-Quentin, simplement parce que je ne l’ai pas trouvé ? Ce serait la honte !
- Le terrain de Saint-Quentin Roupy
- Nettement plus petit et plus difficile à voir... d’autant que les champs environnants étaient verts, ce jour-là !
Et puis, alors que je me mets une nouvelle fois en virage, surprise ! Il était juste au dessous de moi... cette fois je vois très nettement les marques blanches, et la croix verte sur fond d’un autre vert, que forment ses deux pistes. J’appelle une nouvelle fois à la radio pour demander quelle est la piste en service, toujours pas de réponse.
Tant pis, je décide d’atterrir en gros vers l’ouest. De toute façon, il y a peu de trafic.
Je me laisse descendre doucement, puis j’annonce mon intention d’atterrir sur la "piste 30". En fait, c’est la 32, mais je n’ai pas la carte, j’ai estimé son orientation au pifomètre... peu importe, ils n’ont qu’à me répondre !
Je suis très concentré sur ce que je fais : lors de ma première tentative d’atterrir ici, en motoplaneur, j’étais arrivé trop bas en finale. L’instructeur avait remis les gaz pour un deuxième tour. Cette fois je suis en planeur, il n’y aura pas de remise de gaz ! Le terrain de Saint-Quentin est environ 70 m plus haut que celui d’Amiens-Glisy, je dois en tenir compte quand je regarde l’altimètre. Et la piste est beaucoup plus courte. Et mon planeur, un Libelle, n’aime pas les atterrissages avec un peu trop de vitesse : il rebondit, redécolle, et rallonge la distance d’atterrissage d’une bonne centaine de mètre. Il s’agit donc d’être irréprochable sur tous les paramètres : angle de descente et vitesse.
Parfait : pour mon premier atterrissage en planeur à Saint-Quentin, je me pose mieux que je ne le fais d’habitude à Amiens !
Je profite d’un reste de vitesse pour garer mon planeur sur le côté de la piste. Je sors, je le pousse hors de la piste, je vois un tracteur se diriger vers moi. C’est le trésorier du club qui vient m’aider à emmener le planeur vers les hangars. Il m’explique qu’il est seul, c’est pourquoi personne ne répondait à la radio (ce n’est pas une raison !...) La piste en service était la 22, je constate en effet à la manche à air que le vent ne souffle pas tout-à-fait dans le même sens qu’à Amiens... mais mon instructeur, quand il vient me chercher avec le remorqueur, commet la même erreur : atterrissage sur la 32. Ouf, je ne suis pas complètement idiot !
Le retour s’effectuera en convoyage, c’est à dire entièrement en remorqué, et sous la pluie, en prime.
Voilà, c’est tout, c’est peu de choses, mais je suis content. Pour cette seule journée, j’ai l’impression que mes vacances ont été excellentes...
[1] Premier vol en solo
Messages
1. J’ai réussi mon "50 bornes" !!!, 28 août 2006, 02:47, par Denis
Passionnant ! merci pour le récit, je n’ai jamais fait de planeur, mais je me sentais déjà aux commandes :) ca fait vraiment envie ...
Denis
PS : Quelle distance linéaire peut on parcourir quand les conditions sont bonnes ?
1. J’ai réussi mon "50 bornes" !!!, 28 août 2006, 09:21, par Frédéric PONCET
Quand les conditions sont bonnes, et qu’on est un bon pilote et qu’on dispose d’un bon planeur, on peut parcourir plus de mille kilomètres. Le record de distance à but fixé est de plus de 1400 km (de la Suisse au Maroc).
Les circuits dits "à but fixé" sont peu pratiqués, car le rapatriement du planeur peut coûter cher ! On préfère en général les circuits fermés, avec retour au terrain de décollage. Dans ce cas, on mesure la longueur totale du circuit en le décomposant en "branches" de 30 km au minimum.
Par exemple, mon premier circuit était : décollage d’Amiens-Glisy, premier virage à Villers-Bocage, puis Conty, Mézières, à nouveau Villers-Bocage et retour à Amiens-Glisy. Ceci fait un triangle dont les côtés font 30 km, soit 90 km. Le retour de Villers-Bocage à Glisy fait 17 km, soit 107 km au total. Le départ ne compte pas, car il n’y a pas de preuve du point de largage du planeur (on ne sait pas à quelle distance de Villers-Bocage je me suis largué).
Bien que ce premier circuit fut plus long, je suis resté tout au long du vol en "local", c’est-à-dire que je pouvais à tout moment revenir vers le terrain et atterrir.
Les preuves de passage sur les points de virage étaient autrefois constituées par des photos d’un point remarquable. De nos jours, le GPS fait foi. Bien entendu, il faut virer autour du point à l’extérieur du circuit.
Les pilotes qui pratiquent régulièrement font souvent des circuits fermés de 200 ou 300 km, même dans des conditions moyennes.
Les très bons pilotes, avec des planeurs performants, font parfois des circuits de 700 ou 800 km.
Lors d’une compétition, il y a un circuit imposé (ou plusieurs possibilités au choix) et le but est de le parcourir le plus vite possible.
Les vitesses moyennes sont en général de 100 à 150 km/h, mais l’on voit parfois des circuits parcourus à 200 km/h ! En fait, ceci dépend beaucoup du vent et des conditions aérologiques en général.