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De la sécurité aux passages à niveau
On ne sait plus quoi faire...
jeudi 9 juin 2011, par
On ne sait plus quoi faire, alors on fait une journée mondiale. Est-ce que cela portera ses fruits ? Le 8 mars a-t-il fait progresser l’émancipation des femmes ? Le 1er mai a-t-il amélioré la condition ouvrière ? On ne le sait sans doute pas. Au moins, personne ne peut démontrer que ça ne sert à rien...
Les passages à niveau ont donc maintenant leur journée mondiale. Aurais-je imaginé cela, en écrivant en 2008 que les "PN" constituaient une sorte de frontière conceptuelle pour les ingénieurs du chemin de fer ?
A partir de ma seule expérience des chemins de fer français, j’avais mis le doigt sur un problème véritablement partagé par l’ensemble des réseaux.
Rien d’étonnant à cela, à vrai dire : la philosophie de la sécurité des chemins de fer est à peu près la même partout.
Fondée sur le frein automatique et continu et les circuits de voie de l’américain Georges Westinghouse, et sur les enclenchements du français Pierre-Auguste Vignier, bien entendu sous des formes modernisées, elle s’accommode fort mal de tout ce qui ne relève pas des sciences de l’ingénieur et, plus généralement, des sciences de la nature.
Elle s’inscrit toujours dans un cadre principalement déterministe, ce qui n’est nullement condamnable compte tenu de l’objectif (obtenir l’assurance qu’un train pourra transporter des voyageurs d’une gare A à une gare B sans faire de victimes) mais qui a bien du mal à intégrer les connaissances issues des sciences humaines et sociales. On désigne tout ce qui en relève et même un peu plus [1], sous une expression fourre-tout : le facteur humain. Le truc qui nous emmerde...
Cette résistance à l’introduction des sciences humaines s’explique elle-même assez bien par la sociologie des organisations (l’analyse stratégique, en particulier) : pour faire vite, la compagnie de chemin de fer est une organisation d’ingénieurs, et ils n’entendent pas partager leur pouvoir avec d’autres.
Bref : les passages à niveau (comme, d’une manière générale, toute interaction de tiers avec le système) ne font pas bon ménage avec le modèle de base, qui exige l’analyse des modes de défaillances et de leurs effets de tout composant du système, mais en partant du principe que les sciences de la nature doivent suffire à cette analyse.
Et tant pis si le comportement réel des automobilistes n’est pas tout-à-fait celui que les ingénieurs imaginent...
Alors, puisqu’on ne peut pas modifier intelligemment le comportement des passages à niveau, on essaye de modifier le comportement des automobilistes !
Je ne résiste pas à la tentation de profiter de l’occasion pour faire un peu de publicité à mon mémoire : voir cet article.
Voir en ligne : International Level Crossing Awareness Day
Voir également le site français :
http://www.securite-passageaniveau.fr/
Et soyez prudents quand vous franchissez un passage à niveau, même s’il n’a pas de barrières !
[1] L’expression "facteur humain" désigne souvent en réalité, dans la bouche de ceux qui l’emploient sans avoir de connaissances scientifiques en psychologie ou sociologie, ce que les philosophes appelleraient le libre arbitre. Bref : ce qui par définition échapperait à toute modélisation...