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Vidéo imputée à l’Etat Islamique montrant l’immolation par le feu d’un prisonnier : peut-être pas
Un pur produit culturel des Etats-Unis
...mais c’est drôlement bien imité
mardi 10 février 2015, par
Le président des Etats-Unis Barack Obama a déclaré que cette vidéo, « si elle est authentique », démontre la barbarie de l’Etat islamique.
Cette précaution oratoire, de la part d’un homme qui dispose de nombreux moyens pour estimer l’authenticité de cette séquence, est de bon aloi.
La plupart de ceux qui, curieusement, exhortent à la regarder, tout en la qualifiant d’insoutenable, n’en prennent pas tant. Insoutenable en effet, elle peut l’être : si l’on tient les images pour vraies, si l’on ne met pas en doute leur origine, si l’on exclue l’hypothèse d’un trucage. J’ai hésité avant de la regarder.
J’ai finalement pris la peine de le faire. Non par ce voyeurisme malsain qui pousse tant de nos contemporains à regarder la souffrance d’autrui, mais parce que le choix fait par la chaîne Fox News de publier cette vidéo (littéralement : l’héberger sur leur serveur) m’a interpellé.
Il faut préciser que je ne comprends pas l’arabe et que j’avais coupé le son. Les commentaires écrits n’interféraient donc pas avec ma perception des images : j’en recevais le sens sans que quiconque ne me dise comment je devais les interpréter, sinon par cette annonce préalable de ce qu’elles étaient censées montrer. Et qu’ai-je vu ?
Un film de propagande pour les armées des Etats-Unis et de la Jordanie. Pendant plus de quinze minutes, c’est-à-dire pendant la majeure partie du film.
Publié hors de tout contexte qui en préciserait l’origine, amputé des dernières minutes et des commentaires, quiconque verrait ce film croirait voir un film à la gloire de la coopération militaire entre les Etats-Unis et la Jordanie.
Pendant un bon moment, je me suis demandé si Fox News n’avait pas fait une erreur ! ou si le Pentagone n’avait pas exigé de Fox News qu’elle retire la vidéo de l’EI de son site et la remplace par un de leurs films de propagande.
Des militaires en patrouille dans des régions en guerre, des militaires en briefing, des militaires américains et jordaniens qui se congratulent. Des images "embedded" pour certaines, sans doute directement piochées dans la propagande US que l’on trouve sur toutes les chaînes du monde.
Des images de synthèse en 3D pour représenter le F16, l’avion de guerre produit aux Etats-Unis le plus exporté. Un peu de publicité pour la bombe à guidage laser, au passage. Les rares images de ses victimes ne sont montrées qu’une fraction de seconde.
Aucune image d’un soldat américain blessé, tué ou prisonnier. Aucune image susceptible de décourager un jeune américain de s’engager dans l’armée US, en fait.
De la capture du pilote jordanien, une seule courte séquence, passée en boucle quatre fois.
Les experts en communication de "Daesh" ne filment donc pas leur guerre ? Ceux qui ont fait ce montage ont pourtant des moyens et des compétences très professionnelles en matière de com’.
Les dernières minutes, celles qui montrent l’immolation par le feu du pilote jordanien, m’ont alors produit une étrange impression. Celle d’être, nécessairement, « du cinéma », tant le reste du film donne cette impression de sortir des studios qui produisent les séries télé américaines. La mise en scène y contribue beaucoup. Et certes, elles sont insoutenables dès que l’on se dit : « et si c’était vrai ? ». Mais la question, après ces quinze longues minutes de propagande façon US, ne peut rester qu’une question [1].
Si ce film a réellement été monté par des gens de ce qu’on appelle ici l’Etat islamique ou « Daesh » [2], alors le résultat donne l’impression qu’ils ont pioché la majeure partie des images dans le stock documentaire du Pentagone, et qu’ils ont fait valider leur produit par ses officiers spécialistes en communication.
- Ce n’est pas de la pub pour une bombe a guidage laser... mais cela y ressemble
A aucun moment ils n’ont souhaité montrer de militaire américain dans une situation dégradante ou humiliante. Le sort fait au pilote jordanien est lui-même très abrégé : le film ne montre que le début et la fin. La combustion d’un corps humain dure pourtant bien plus que quelques minutes et aurait pu occuper largement la totalité des vingt-deux minutes du film. Le choix de n’en montrer que quelques brefs extrait semble, de la part de barbares d’une cruauté sans nom, comme une forme de retenue ultime, presque de la compassion. Etonnante incohérence pour une soit-disant démonstration du martyr qui attendrait les apostats, cible supposée de cette communication.
Ou bien choix technique pour occulter la part de trucage que l’on ne peut totalement rendre invisible ?
D’aucuns, ayant définitivement admis la thèse d’un conflit irréductible entre la civilisation (occidentale) et la barbarie (islamique), m’objecteront avec la dernière des énergies que l’authenticité de ce film ne peut pas être remise en cause, et bien des experts les appuieront. Ils expliqueront la forme par l’influence, incontestable, y compris sur les barbares de l’Etat islamique, des productions cinématographiques des Etats-Unis.
Un hiatus demeurera entre le professionnalisme du montage et la faiblesse du sens de la communication, pour qui serait un véritable ennemi des Etats-Unis ou de la Jordanie.
Je préfère m’en tenir à la position de Barack Obama : si cette vidéo est authentique…
Ajout du 17 novembre 2015 : je découvre cette pépite, un article sur Nicola Hénin, colporteur de la fable de l’état islamique, dans lequel s’échappe un aveu : "Il analyse aussi la propagande du groupe Etat islamique, dont les vidéos sont produites par une société allemande." Ce sont donc bien des professionnels occidentaux, même s’ils ne sont pas à Hollywood...
Portfolio
[1] Que ces images soient réelles ou truquées ne change pas l’analyse du reste du film. Sa finalité, comme celle de l’exécution de vingt et un prisonniers Egyptiens, semble être d’avoir donné une justification aux gouvernements Jordaniens et Egyptiens pour réagir sur le mode de la vengeance et donner par la même occasion un signe d’allégeance symbolique mais fort, à la nouvelle politique des Etats-Unis dans la région.
[2] Au risque de passer pour un "conspirationniste", je m’interrogeais de plus en plus sur l’autonomie de l’Etat Islamique et sur la réalité de ses frontières avec les officines telles qu’Academi -anciennement Blackwater- ou avec certaines branches de ce que Peter Dale Scott appelle l’Etat profond. Un coup d’œil sur le site du Réseau Voltaire, avec toutes les réserves que l’on peut mettre sur les informations en provenance d’une organisation désormais installée en partie à Damas, "contredit" cette intuition : "Daesh", le califat islamique, serait encadré par la CIA et... des légionaires français, en mission sous les ordres directs du général Puga ; tout en étant combattu officiellement par une coalition dont fait partie... le Pentagone. Si les informations du Réseau Voltaire sont exactes, nous baignons en pleine "realpolitik"...
